JEAN  FLUHR

PLUMÉJAL


AUJOURD'HUI   ET   DEMAIN (2010-2011)


Dimanche 17 janvier 2010

   
   Pour qu'une journée soit mémorable, il faut qu'elle imprégne la mémoire de façon indélébile. Ce 17 janvier appartient désormais à l'histoire de nos familles, tant il est vrai qu'il fut dense en rires et souvenirs. En effet, Geneviève et Christian FLUHR nous demandaient depuis longtemps de passer une journée à Puichéric afin de visiter le village de mon enfance dont tous les coins de rue interpellent la mémoire.

Il s'agissait bien évidemment de faire visiter l'atelier, lieu mythique que a vu nombre de mes exploits prendre forme sur les instances de Roger, fervent pourvoyeur de niches et bêtises en tous genres.

-La clé est-elle toujours au même endroit demandais-je à Jean-Pierre?

- Bien sûr, ça fait soixante ans qu'elle n'a pas changé de place! Tu l'as à droite.

Et nous fîmes la visite agrémentée des explications du maître des lieux, précisant  que le vieux moteur d'entraînement des machines datait des premiers jours de la construction de l'atelier vers 1925.
Les anciens gabarits servant à la construction des meubles de l'époque sont toujours accrochés à l'une des poutres maîtresses: sentinelles silencieuses d'une époque révolue.

Dans ce lieu pétri d'histoire et de souvenirs sensibles dont certains confinent à l'émotion, je retrouve en un instant, aussi long qu'un regard d'enfant, les objets immobiles dont l'image nourrit tous les jours mes pensées vagabondes, lors des séance de sport matinal.
Oh, elles ne se perdent pas dans le désert de Gobi comme pourrait les y conduire un explorateur en mal d'aventure. Non, je cours simplement au gré de ma mémoire, qui vers le Canal s'étirant langoureusement sous les platanes centenaires, qui vers la vigne de mon grand-père pour humer les senteurs du thym et des herbes folles de la Valsèque.

Jean, Geneviève, Françoise et Jean-Pierre donnant les explications concernant le fonctionnement de l'atelier, notamment au début du XXème siècle, lorsque son grand-père Édouard installa la première scie électrique du village.Esprit éclairé, soucieux d'évolution, Jean-pierre a su poursuivre l'oeuvre entreprise quatre-vingts ans plus tôt.



Chemin faisant, nous avons décidé d'aller voir les curieuses sculptures de l'écluse de l'aiguille, connues en France mais aussi à l'étranger et de poursuivre vers la vigne de mon papet, objectif incontournable de toute visite à Puichéric, sans lequel je serais orphelin de coeur.

Ce layon raviné par les pluies des derniers orages de décembre ne ressemble à aucun autre tant sa rudesse m'enivre à chaque montée.
                                                                                                                



Devant ce mur monté pierre par pierre de la plaine et érigé au fil du temps par Joseph LEYDA à force 
d'homme , je reste souvent pensif, solitaire, enfermé dans un halo que seul le bruit du vent du nord parvient à dissiper au terme de mon défilé intime d'images évanescentes.Mais, les invitées que je conduisais sur l'illustre oppidium, peut être déçues par le spectacle de la vigne évanouie dans le temps, furent tout de même récompensées de l'effort consenti pour atteindre la Valsèque car, face au sud, veillé par l'Alaric, le  village de pierres sombres épousant l'Aude et la Rigole et adossé au Canal s'offrait majestueusement au soleil de midi.Quel spectacle incomparable!

La fête du cochon donnant sa pleine puissance, il fallait profiter de l'occasion pour faire quelques emplettes le long des rues remarquablement bien pourvues en commerçants, plus éclectiques les uns que les autres en matière de victuailles campagnardes.Ces marchés paysans d'hiver attirent toujours une foule bigarrée heureuse de déambuler au rythme du chaland "badouillard" que rien ne presse.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   

















 

Pause  quasi religieuse devant notre  maison,  gardienne
immuable de la  mémoire de plusieurs générations qui vécurent en ces lieux, sous l'aile protectrice d'une amitié toujours cultivée de nos jours. J'y tiens!    À quelques pas de ce lieu  historique, sur la place du marché, Geneviève et Françoise réunirent les espèces nécessaires à l'achat de charcuteries du pays audois. Ai-je encore quelques menues monnaies?                                                                                                                                                                              

À 13heures, il était grand temps de passer à table pour déguster le friginat que Maryse et Jean-Pierre avaient amoureusement cuisiné pour les quatorze convives, tous amis de longue date de nos deux hôtes. La recette, apparemment simple en finale, requiert un savoir-faire certain. En effet, il faut avant tout prendre 6 kilos de bas-joues de cochon, dégraisser l'ensemble, rajouter des câpres et des couennes,faire cuire à feu doux pendant deux heures et servir avec trois bonnes cuillérées de haricots blancs par assiette que nous appelons: mounjétos dans le pays.

L'ambiance des grands jours soutenait les bons mots et les rires, et plus encore à l'arrivée de Robert LOCATELLI,chaleureusement accueilli, car il fut  champion de France du cri du cochon.
   L'éclat de  sa tenue très folklorique était rehaussé par les souvenirs des nombreuses manifestations au cours desquelles il porta très haut, comme il se doit, les couleurs de Puichéric en améliorant toujours l'imitation de ses cris. Par une allusion sibylline Jean-Pierre précisait à l'auditoire que les performances de notre homme relevaient d'un entraînement quasi quotidien y compris lors de la taille des vignes, au grand étonnement des voisins, persuadés qu'il s'agissait d'un abattage clandestin dans la vigne des SOULIÉ.
   Maryse, toujours prévoyante proposait pour le soir un pot-au-feu, léger et familial pour terminer cette agréable journée, mais il n'était plus possible à chacun d'entre nous aprés un tel repas d'avaler la moindre substance, quelle qu'en fut la qualité de la préparation.

Mardi 19 octobre 2010

Neuf mois que je n'étais revenu à Puichéric, car deux évènements tristes ont marqué notre vie. D'une part, Françoise s'est fracturée la cheville à cinq endroits le 7 avril vers 18heures, ce qui a nécéssité une immobilisation de plusieurs mois et, d'autre part, l'état de santé de maman qui s'est subitement dégradé depuis le mois d'août .Aujourd'hui, hospitalisée à Toulouse, notre mère écrit peut-être le dernier épisode de sa longue et belle vie avec un grand courage moral, toutefois, diminuée au quotidienpar une fatigue lourde et persistante.

Mais rien ne remplacera l'amitié de notre enfance pour atténuer les tourments causés par cette situation, d'autant que sous le toit des SOULIÉ, planait l'ombre du père, ami d'enfance de maman dont le départ vers l'"Au-Delà" nous avait fort meurtris.
Heureusement, Jean-Pierre et Maryse nous ont régalés d'un succulent lièvre tourné à la broche dans la cheminée familiale.

Jeudi 4 novembre 2010

C'est un grand jour car, partant de Baillargues, je me suis rendu à Puichéric  
pour récupérer le moteur de l'ancienne Citroën B14 qui servait à pomper l'eau de l'Aude pour arroser les vignes du "Coude" à l'époque d'Édouard et  de Roger. Magnifique engin pour les amateurs de vieilles mécaniques!

L'aspect pittoresque de cette aventure résidait dans le fait que le voyage aller et retour s'est effectué avec la Citroën  Traction Avant de 1954 tractant fort bien ma remorque de fabrication artisanale.

Tout de même, au retour, sur l'autoroute, la température de la Traction monta dangereusement à tel point que l'aiguille du thermomètre atteignit la graduation des 110°C, ce qui n'était pas pour me rassurer. Les derniers vingt kilomètres se firent à vitesse réduite oscillant entre 60 et 70km/h.

À l'arrivée à Baillargues de cet étonnant équipage, un geiser de vapeur d'eau accompagna les derniers mètres. Il était grand temps de terminer ce voyage qui ne dura toutefois que deux heures, au regard de la charge qu'il fallut remorquer. Enfin, j'avais eu la joie de revoir mon village et mes amis.

Mardi 30 novembre 2010

Sombre jour, à 3heures du matin, notre mère s'est éteinte, chez elle, au 276 avenue de Muret à Toulouse, ville qu'elle avait rejointe à l'âge de deux mois. Le docteur PATTE, l'infirmière Paola et Marie-Claude étaient présents pour recueillir son dernier souffle de vie.
Maman avait subi depuis la mi-octobre deux séjours en hôpital au cours desquels elle fut soignée pour une amylose de la langue, consécutive à un myélome ( cancer de la moëlle osseuse ). Sa langue enflée, la nutrition était uniquement à base de nourriture mixée.Rentrée de l'hôpital le vendredi 26 novembre, je l'accueillie dans un état d'essoufflement tel qu'elle dut se coucher dès son arrivée à l'appartement.
   
Le lendemain, Françoise, Marie-Claude et moi avons passé un aprés-midi très agréable avec elle, évoquant maints souvenirs de musique et de Puichéric, bien sûr! ( voir films ).
Le lendemain dimanche, vers 18heures, elle fit un accident vasculaire cérébral ( AVC ) qui la plongea dans un coma profond.À partir de cet instant, elle ne reconnut plus ses enfants et commença à gémir douloureusement.Avec Marie-Claude nous l'avons veillée toute la nuit en tentant vainement d'atténuer ses souffrances et de faire en sorte qu'elle nous reconnaisse, Mais, quand le destin d'un être cher bascule dans le néant, l'impuissance des hommes s'impose à tous.Lundi soir, le médecin l'a mise sous morphine afin de l'accompagner vers l'heure ultime, comme l'avait souhaité cette âme forte, à plusieurs reprises au cours de sa vie.
La messe d'obsèques a eu lieu en l'église Saint-Jacques de Muret. En entrant sous la nef, maman fut accueillie par "La méditation de Thaïs", de Jules Massenet, puis, la puissance de "l'Ave Maria" de Gounot éleva son âme de musicienne. Enfin, instant sublime, le "Rêve d'amour"   de Liszt, célèbre morceau qu'elle joua tant de fois et qu'elle souhaitait entendre à la fin de l'office, l'accompagna vers le paradis  des pianistes.L'enterrement se déroula à Rieux-Volvestre, sous une pluie glaçiale en présence de sa famille et de nombreux amis et fidèles. Désormais, maman repose  au creux de ce vallon d'éternité à côté de notre père et de Michel Baccichetti, son gendre.

Jeudi 17 février 2011

   Ma visite à Puichéric avait un double but: rencontrer le matin à Carcassonne le général de corps d'armée Henri Poncet, camarade  de promotion à Saint-Cyr et, l'aprés-midi échanger quelques souvenirs anciens du village avec "Casquettou", mémoire vivante de notre cité, mais aussi grand collectionneur d'archives s'y rapportant. Aprés avoir rendu visite à nos grands-parents au cimetière avec Jean-Pierre, nous sommes allés prendre un apéritf  très chaleureux chez Roger et Nicole Jeannet.
   Repas chez SOULIÉ, puis réception chez l'inénarrable "Casquettou", 87 ans, qui, à l'appui de documents recueillis depuis des dizaines d'années, nous raconta maintes anecdotes, toutes plus intéressantes et savoureuses les unes que les autres. J'en ai profité pour lui remettre mon livre: "Ma rigole" ainsi que "La chronique", mon dernier ouvrage portant sur l'histoire des seigneurs de Puichéric entre 1209 et 1950.
   Retour en Porsche sous une pluie battante. Journée heureuse et chargée de souvenirs, d'autant que notre historien avait bien connu notre arrière-grand-père Joseph: l'homme qui marchait d'un pas rapide et qu'aucun couvre-chef ne protégeait son crâne dégarni des caprices du temps.

Jeudi 28 avril 2011

Outre le plaisir de retrouver mon village et la famille Soulié, je devais rendre visite aux parents de Jean-Bernard Guillamet tué dans l'accident d'avion qui coûta la vie à vingt-sept de mes camarades de promotion le 30 juillet 1971.Ces gens  âgés de 87 ans habitent à Villerouge-Termenès, petit village des Hautes Corbières situé à 30km au sud de Puichéric.

Nous avons passé une heure à évoquer la mémoire de leur fils, mais sans jamais tomber dans   le pathétique voire la sensibilité de mauvais aloi.Malgré son âge avancé, ce couple, aujourd'hui  sans famille- notre camarade était leur unique enfant- se cultive encore en lisant ou en participant à des évènements à caractère historique puisque      le dernier "Parfait cathare": Guilhem Bélibaste, fut brûlé dans la cour du château en 1321 sur ordre de l'archevêque de Narbonne, Grand inquisiteur.
Juste avant mon départ et alors que monsieur Guillamet me proposait d'aller voir la citadelle médiévale située à un quart de lieue de leur demeure, j'ai compris qu'il souhaitait me montrer la tombe de Jean-Bernard dans le petit cimetière du village, situé à quelques mètres de chez eux.
Malgré la retenue dont nous faisions preuve à cet instant, l'émotion de chacun était palpable et ce, quarante ans aprés le drame.

Puis, j'ai rejoins Puichéric où pendant quelques heures, au sein de la famille Soulié j'ai retrouvé ma joie intérieure et les images de mon enfance.Quand vous lirez ces lignes au travers desquelles les sentiments prennent le pas sur la raison, mais qu'importe! puissiez-vous comprendre combien j'ai été heureux dans ce village au temps des errances de mon enfance.Avec Jean-Pierre, nous avons passé une petite demi-heure à l'atelier afin d'évoquer ensemble les sujets qui nous concerne et sur lesquels nous sommes en profonde communion.

Vers 15h, la Porsche fit entendre le feulement de son merveilleux moteur pour rejoindre Baillargues à bonne allure.Auparavant, j'avais déposé quelques fleurs sur la tombe de mes grands-parents, ravis de me revoir, même de l'Au-delà.


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