JEAN  FLUHR

PLUMÉJAL


AUJOURD'HUI   ET   DEMAIN (Réflexions - Cathares)

Réflexion de voyage.    Lorsque    je   circule   dans   cette  très jolie région   du  Minervois,   j'ai   la   désagéable   impression   que   tout   ce que  l'homme  moderne  a  touché    depuis    des    années   est   devenu   cathare   en   quelques   années.  Ainsi,  le  "pays  cathare"  inventé par  les champions de l'économie touristique continue à attirer en masse les touristes, mais pour des raisons qui excèdent largement la question cathare, aujourd'hui pourtant historiquement circonscrite. Les fables, les mythes nourrissent l'imaginaire contemporain qui aime les complots, les secrets,  les  révélations  et  passe  à  côté de  tout  ce  qu'il  y  a  de proprement "extraordinaire"  dans  le  projet  de ces chrétiens  sans  croix. Le  mythe se vend. Il est un substitut euphorisant dans une   époque  où la  pensée  semble  entrer  en dissidence. Un  facile  ersatz que  nos médecins de l'humeur prescrivent pour des citoyens désemparés.   Y a-t-il  eu  des cathares  en pays  puichéricois ? Certainement! C'est l'objet de ma constante recherche en forme d'alibi souriant qui me pousse tous les jours, par la pensée, vers ces lieux de mystique et d'amour.

   Mais,  quels  furent  les  évènements  qui  mirent  le  Languedoc  à  feu  et à sang au nom de la lutte contre le catharisme ? Car telle est la question que l'on se pose en traversant ce pays!  
                                                                                       

   En préliminaire, il convient de situer le sujet dans le cadre espace-temps de l'Histoire. La France à la fin du XIIème siècle, c'est quelques domaines   propres   et   apanages  dont   Philippe Auguste II (1165-1223) est  le   premier   grand   Capétien  centralisateur.  Le  rattachement du  Languedoc  à  la Couronne, au terme de la guerre de croisade, en est une manifestation.

Que se passe-t-il en cette année 1208 pour que s'amoncellent au-dessus des terres occitanes autant de nuages?

   Les grandes légations cisterciennes que le pape a envoyées en pays occitan pour essayer de ramener à l'ordre romain ces brebis égarées  restent  bredouilles. Dominique ( canonisé  plus  tard ) à  Fanjeaux  en   a    été témoin. Autour  d'Innocent III,  ce  champion  de la théocratie pontificale pour qui la papauté doit prendre la prééminence à la pointe de la pyramide du pouvoir sur la chrétienté, car représentant l'ordre même de Dieu,  le  parti  des  "faucons"  veut  affirmer  cette  prééminence  par  la  force  s'il  le faut. À plusieurs reprises,  le  pape  écrit  au  roi  de  France, Philippe Auguste  pour qu'il  prenne  la  tête d'une expédition de croisade. Mais le roi garde  un  silence  réprobateur. En  janvier 1208,  un  évènement  fait  basculer  les  choses  du  côté  de  la  guerre. Pierre  de Castelnau,  l'un  des  légats  du  pape  en  tête  de  la mission,  redouté  des   populations   locales,   est assassiné   près   de  Saint-Gilles, en   bas  Languedoc.  Pierre   de Castelnau  vient  de  quitter   Raymond VI, le comte  de Toulouse, qu'il a excommunié en tant que suppôt du Catharisme(1) dans son fief. Un écuyer de Raymond est arrêté comme coupable. Il  n'est  pas  certain  que le  comte  ait   lui-même    ordonné   le    meurtre.  Il   a  en  tout  cas  couvert  le  meurtrier.  Et  aussitôt, Innocent III   prêche   la   croisade,   comme  s'il n'attendait que ce prétexte.
   Les  domaines  de  Raymond VI  sont  offerts  par  le  pape  qui  "expose en proie"  les terres  des  comtes  de  Toulouse et de Foix et celles du vicomte de Trancavel.
  C'est  aussitôt  la  ruée. Bien  que  le comte fasse amende honorable en janvier 1209, du nord de la France affluent des chevaliers attirés par la richesse du Midi.
  La situation est inédite. La croisade est prêchée pour la première fois, contre un état européen et théoriquement chrétien.
Ceux qui partent sont des cadets, fils de famille sans espoir de devenir seigneurs, jeunes gens que leurs parents empêchent de se marier pour ne  pas  avoir  à  partager  le  patrimoine  familial ou encore petits nobles sans grand avoir. L'armée des croisés se reconnaît exclusivement en un seul homme, auquel elle obéit aveuglément, Simon de Monfort. C'est, un vrai, un grand capitaine. Mais  c'est aussi un aventurier. On vient à cette croisade pour faire fortune. Ouvertement!

Rappel. Les Cathares (du grec ancien "Katharos": pur) étaient des adeptes d'un mouvement chrétien médiéval qui fut jugé hérétique par l'église catholique. Principalement concentré en Occitanie, dans les comtés de Toulouse et de Béziers-Albi- Carcassonne, le Catharisme a subi une violente répression armée à partir de 1209 puis la répression judiciaire de l'Inquisition.



 Simon de Montfort, chef de la croisade lancée par le pape Innocent III contre les cathares .


   La guerre

   Cela n'est pas suffisant pour expliquer l'effarant déploiement de violence auquel se livrent ces hommes entre 1209 et 1213. L'horreur du sac de Béziers le 22  juillet 1209, place forte que le vicomte de Trancavel met en défense avant de se rendre à Carcassonne pour faire de même, est par exemple devenue proverbiale.Un chroniqueur rapporte que les croisés aux portes de la ville, auraient demandé au légat comment se comporter en face de le population: comment au bout de l'épée, distinguer un hérétique d'un bon catholique?
"Massacrez -les-tous, car le Seigneur connaît les siens", leur répondit-il. Réplique fameuse, traduite au XXe siècle par: "Tuez-les-tous, Dieu reconnaîtra les siens". Une fois Béziers traitée, les croisés se dirigent vers Carcassonne, qui tombera très vite. Problème de manque d'eau...Toutes les places fortes ou presque tomberont de la même manière, dans les brûlants étés méridionaux. Simon de Montfort nommé vicomte de Carcassonne est solidement arrimé à la terre occitane et déterminé à poursuivre son effort de guerre. En 1212, seules demeurent aux mains du comte de Toulouse sa capitale et Montauban qui deviennent la proie du seigneur du nord.


La cité de CARCASSONNE

   Le  comte de Toulouse  Raymond  VI  fait  alors  appel  à  son  beau-frère Pierre II  d'Aragon  tout  auréolé  de  gloire depuis sa victoire sur  les sarrasins  d'Espagne.  La  grande  bataille  a  lieu  à  Muret  près  de Toulouse  le 12 septembre 1213. Et, malgré des effectifs inférieurs en nombre, c'est le méthodique Montfort qui a le dessus. Pierre d'Aragon est tué. C'est la débandade de l'armée occito-catalane. Montfort a gagné  le  comté  de  Toulouse.  La  situation  est  avalisée par le pape en 1215. Au cours du concile du Latran, Montfort est reconnu vicomte de Carcassonne et de Béziers, mais également comte de Toulouse. La seigneurie d'Albigeois est donnée à l'un de ses frères.



Bataille de MURET - 12 septembre 1213.


Le jeune comte de Toulouse Raymond VII va lancer la reconquista en se montrant aussi vaillant capitaine que son père ne l'était pas. Et contre  toute  attente,  la croisade  des barons  tourne court. Montfort est tué en 1218 en assiégeant vainement Toulouse par un jet de pierre à la tête, devant l'actuel Jardin des plantes, allées Jules Guesde. Les croisés essuient des revers partout et, en 1224 Amaury de Montfort, vaincu, quitte Carcassonne en emportant avec lui  les restes de son père Simon. Il va les enterrer dans son fief de Montfort-l'Amaury.
   C'est au moment ou tout paraît gagné pour les cathares que tout bascule. Amaury de Montfort, à Paris, dépose au pieds du roi les droits qu'il a perdu sur le Languedoc. Le roi qui n'est désormais plus le grand Philippe Auguste mais son fils, Louis VIII, va relever les droits de Montfort et descendre , à partir de 1226, avec sa grande armée, les faire valoir sur le terrain. Après la croisade des barons, c'est la croisade royale, prélude au rattachement du Midi à la Couronne de France.
   La vie reprend dans le comté et toute forme de résistance n'est toutefois pas éteinte. A Montségur, depuis que le comte de Toulouse a plié, les hommes et les femmes rassemblés au-dessus du monde, prêts à le quitter, s'attendent à livrer de terribles combats. Il y a là une forteresse qui  semble   avoir   été  inventée   pour  décourager  toute ambition  stratégique. Après   le   raid  des  cathares  sur Avignonnet en 1242, tous les doigts de l'armée royale montrent Montségur d'où est parti l'expédition meurtrière contre les inquisiteurs du pape à Avignonnet.

Le siège de Montségur

 
Les évêques méridionaux, à la demande du pape, lèvent une armée qui va venir renforcer les contingents de l'armée royale stationnés à Carcassonne, avec à leur tête le sénéchal de France, Hugues des Arcis. Montségur est assiégé. L'épreuve de force commence. Elle va durer dix mois. Plusieurs milliers de chevaliers et de soldats campent au pied du piton. Cinquante hommes d'armes et vingt chevaliers dans Montségur,  plus  une  petite  population  de  civils  et  plus  de  deux cents religieux et religieuses, groupés autour de la hiérarchie des Églises de Toulouse et du Razès. Il s'agit de décapiter l'hydre et de venger les inquisiteurs massacrés à Avignonnet. Jusqu'à Noël 1243, il ne se passe pas grand chose.

    L'armée  française, avec  ses moyens techniques d'envergure, va construire une  rampe d'accés le long de l'échine pour monter non seulement des contingents mais aussi des machines de guerre capables de projeter de lourdes pierres sur la forteresse  afin de détruire les toits et les murs. On se situe à peu près à la mi janvier 1244. La  barbacane qui défendait l'entrée du château est prise. Et c'est le début de la fin.
  Pourtant la faim et la soif ne menacent pas car les vivres sont abondants, mais la lourde machine et ses boulets ouvrent la voie de l'assaut. Début mars, les chefs des deux parties négocient une trêve de quinze jours.
   Certains assiégés demandent le dimanche 13 mars le consolament d'ordination pour  mettre leur âme en état de passer dans l'autre monde. La dernière nuit avant le bûcher,  la nuit du mardi 15 au mercredi 16, Pèire-Roger de Mirepoix va aider quatre "bons  hommes" à quitter secrètement le pog à l'aide de cordes. Ils ont pour mission de  conduire le trésor vers l'Italie. Nous savons, grâce aux témoignage d'Inquisition,  exactement ce qu'il était: "De l'or, de l'argent, des pièces de monnaie en quantité  infinie."

   La fin de Montségur
   
   Le  dimanche  13,  après  avoir  reçu  le  consolament  les  vingt  croyants  s'agrègent  aux  communautés de Montségur et le mardi 15 vient la cérémonie des adieux entre ceux qui vont être brulés, les religieux et ceux qui vont survivre, la population laïque du village. Au petit matin l'armée  arrache  les  bons  chrétiens- environ  deux  cent  cinquante-  au  castrum  et  les fait dégringoler au bas de la montagne, dans l'enclos du bûcher, auquel on met le feu.
 "Et ils passèrent du feu de ce monde au feu de l'enfer", dit un chroniqueur.
Ainsi  s'éteignit  un  mouvement  spirituel  foncièrement  chrétien et  non violent, qui ne put être éradiqué par la prédication et ne le fut, après des décennies d'Inquisition, que par le sang et par le feu.

   
    Quéribus, l'un des derniers châteaux cathares, qui ne sera jamais pris par les armes.

 

 Non loin, à l'ouest de Quéribus, la forteresse royale de Peyrepertuse (Aude) autre maillon fort de la frontière aragonaise.

Ainsi, sur  la route qui me conduit vers  Puichéric se téléscopent les différents soubresauts de l'histoire du Languedoc, lequel paya chèrement son rattachement au royaume de France.



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